Si le Royaume-Uni décide de sortir de l’Union européenne, personne en Europe ne le remarquera. Le Royaume-Uni est un pays à part, isolé du reste de l’Union, n’appartenant pas à la zone euro et ne faisant pas partie des signataires des accords de Schengen. L’idée de l’Union européenne perçue comme une union politique est battue en brèche et perd de son importance, cette Union sera remplacée par l’Union économique et monétaire (UEM). Le centre du pouvoir s’est déplacé vers l’UEM, ce dont les hommes politiques anglais ont tout à fait conscience. Le Brexit accélérera le processus d’intégration politique des membres de l’UEM, ce qui affaiblira le poids politique de l’Union européenne. Pendant la dernière décennie, nous avons été témoins de certains événements :
1. les pays peuvent adhérer à l’Union ;
2. les valeurs essentielles de l’Union peuvent être parfois suspendues, comme on l’a vu dans le cas de la Turquie avec laquelle les négociations sur l’adhésion à l’Union ont repris ;
3. les relations commerciales avec le Royaume-Uni peuvent être suspendues, ce qui ne provoquera aucun choc, comme on a pu le voir dans le cas de la Russie qui ne fait pas partie de l’Union européenne ;
4. les frontières peuvent être ouvertes ou fermées, comme cela a lieu en Europe du sud-est à la suite de la crise migratoire ;
5. comme, depuis l’été 2015, plus d’un million de réfugiés sont arrivés en Europe, la convention de Dublin peut être abrogée du jour au lendemain.
Aucun de ces événements n’a eu un impact considérable sur la vie des Européens. Cependant, être membre de l’Union monétaire et économique revêt une toute autre dimension. La crise de l’euro en Grèce a changé la vie de millions de Grecs. Ce mois de juillet 2015 était décisif pour la Grèce et son avenir, pour l’UEM et indirectement pour toute l’Europe. Les réunions au sommet, durant 24 heures, se succédaient pour la chancelière Angela Merkel et le président François Hollande, ainsi que pour l’Eurogroupe, tandis que le Royaume-Uni et le Parlement européen ne jouaient aucun rôle dans ces événements qui pouvaient changer l’avenir de l’Europe. Le Premier ministre David Cameron n’a même pas été invité à présenter son point de vue.
L’union économique et monétaire exige une intégration poussée ; les membres de la zone euro n’ont pas d’autre choix que de mettre en place une union monétaire et bancaire. Sans ces deux piliers, la monnaie unique s’écroulera en entrainant tout le système financier occidental. Une union monétaire et bancaire impose une intégration des états membres beaucoup plus complète que celle qui se fait dans le cadre de l’Union européenne.
L’UEM a ses propres problèmes auxquels s’ajoutent ceux créés par le premier ministre britannique. L’Union économique et monétaire doit faire face à d’énormes difficultés car, d’une part, une plus importante intégration des pays de la zone euro est inévitable et d’autre part, le soutien pour une telle intégration est de plus en plus faible.
En 2011, le président Nicolas Sarkozy a dit au Premier ministre David Cameron : « Nous en avons assez de vous entendre nous critiquer et nous dire ce que nous avons à faire. Vous dites détester l’euro, vous n’avez pas voulu le rejoindre et maintenant vous voulez vous ingérer dans nos réunions ».1 Les membres de l’UEM sont confrontés à un problème politique de taille qu’il va falloir résoudre. L’Allemagne et la France ne permettront pas aux pays n’appartenant pas à l’UEM de s’ingérer dans leurs affaires comme l’a proposé David Cameron. Les propos du Premier ministre français Manuel Valls ne laissent aucun doute au Royaume-Uni : « Voir le Royaume-Uni sortir de l’Union européenne serait un drame, mais nous ne pouvons pas permettre qu’un état membre n’applique que les principes qui lui conviennent ». 2 La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne serait favorable à Paris et à Berlin, comme l’explique un article publié dans le Figaro : « Le Brexit, une chance pour l’Europe ? » 3
Quand le Royaume-Uni ne fera plus partie de l’Union, Francfort et Paris auront plus de possibilités et pourront affaiblir Londres en tant que centre financier. L’avertissement concernant les pertes possibles en cas de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, lancé par Angela Merkel aux banques londoniennes n’est pas passé inaperçu à Londres 4. Si le Royaume-Uni décide de sortir de l’Union, la France et l’Allemagne ne se contenteront pas de gêner les banques londoniennes, mais prendront également des dispositions et mettront tout en œuvre pour que Paris ou Francfort devienne le nouveau centre financier aux dépens de Londres.
Quand le Royaume-Uni se retrouvera en dehors de l’Union européenne et perdra toute influence en Europe, Francfort pourra exercer son influence sur les transactions réalisées en euros à Londres. Nous avons déjà vu comment Washington a imposé ses propres solutions aux banques européennes. En 2006, les banques européennes se sont vues interdire d’effectuer des transactions en dollars avec le Cuba malgré qu’en Europe ce type de transactions était tout à fait légal 5. Les banques françaises, allemandes et hollandaises ont dû se retirer de Cuba et payer une lourde amende sous peine de perdre l’accès au marché américain. Francfort, et donc l’Europe, peut agir de la même façon et forcer les banques londoniennes à se plier à sa volonté ou à sortir de la zone de l’UEM. Certains des plus importants diplomates anglaise comme Sir Nigel Sheinwald, Sir John Grant et Sir Stephen Wall sont conscients du problème et avertissent que les centres financiers en concurrence comme Paris ou Francfort n’auront aucun égard envers Londres et le défieront, si le résultat du référendum sera favorable à la sortie du Royaume-Uni de l’Union. 6
1. Nicolas Sarkozy tells David Cameron: ‘We’re sick of you telling us what to do’ Source The Telegraph
2. Brexit? An opportunity for Europe, for France and for Paris Source Le Figaro
3. ‘Brexit’ would be a shock for EU – Valls Source Rfi
4. Merkel warns against gains for British banks under ‘Brexit’ deal Source Euractiv
5. International banks shun Cuba under U.S. scrutiny Source Reuters 2007
6. Frankfurt will come for the City after Brexit, top diplomats warn Source The Telegraph